Miles Davis / John Coltrane / Live At The Washateria

Une légende urbaine veut qu'en 1957, Miles Davis ait foncé sur une femme effrayée à la laverie Washateria, à l'angle de Lexington Avenue et de la 25e rue. Il a beuglé : "Combien de temps faut-il à ce séchoir pour sécher une paire de chaussettes ?" Avant que le client terrifié ne puisse répondre, Davis aperçoit John Coltrane dans la deuxième rangée, en train de laver ses anches sur le cycle délicat. Dans un autre coin, Cannonball Adderley s'impatiente devant une série de draps-housses posés sur la table pliante. Ce conclave fortuit de grands noms du jazz, pensait Davis, devait être célébré. Après des décennies passées dans les catacombes de la cathédrale Saint-Patrick, Purgatory Records a sauvé et remasterisé les bandes originales, qui sont désormais publiées sous le titre Live at the Washateria. 
Live at the Washateria est un album unique qui présente un assortiment mixte mais limité de sons et d'idées. Malgré sa nature chaotique, il devrait être apprécié par la partie de la communauté du jazz qui ne peut se résoudre à écouter tout ce qui a été enregistré après 1960. Le batteur Philly Joe Jones, qui avait malheureusement fait sa lessive la veille, n'a pas participé à cette séance improvisée. Cependant, le sèche-linge de grande capacité produit un son rythmique et sourd très convaincant. Le bassiste Paul Chambers, qui croyait fermement au nettoyage à sec, était lui aussi absent de la session. 
La structure de la laverie Washateria est en grande partie à l'origine du succès de ce projet. Il s'agit de la plus ancienne laverie automatique des États-Unis, conçue pour imiter un monument parisien grandiose. Son plafond de 200 pieds et ses colonnes de pierre font élégamment rebondir le son d'une surface à l'autre, remplissant tout l'espace et s'attardant dans l'air comme un assouplissant piquant. La musique était spontanée ; Davis n'avait donné à Coltrane et Adderley que quelques séquences harmoniques de base. Le morceau emblématique de Coltrane, "My Favorite Things", d'une durée de trente-cinq minutes, est renforcé par la rotation à grande vitesse des laveuses, qui éliminent la saleté et les taches plus efficacement qu'OxiClean et fournissent un accompagnement musical grâce aux vibrations en boucle de la machine. Pour rester dans le thème, Davis et Coltrane réalisent un jeu de mots en réimaginant "Blue Train" en "Blue Stain". 
Live at the Washateria a la particularité d'être le 300e album d'archives de Davis et Coltrane, mais il y en aura sans doute d'autres. Cela ne s'arrêtera jamais. L'historien et musicologue Whitney Bullocks conteste les fondements de cette histoire. Il rappelle que Davis a cessé de porter des chaussettes en 1947. Néanmoins, la musique est épique, chaleureuse et déborde d'intelligence et de mousse.

Jeudi 4 avril 2024, par Jérôme Hannequin